Quand on parle de surf, on pense en général à la chaleur de l'été, au sable fin, au soleil. Pas au cercle polaire, à la neige ni aux aurores boréales. Alors, quand j'apprends en tombant sur un article dans un magazine de surf, que Tom Curren, le Californien et champion du monde et légende des années 1980, était all surfers à Unstad (Lofoten), dans l'Arctique Norvégien, je me dis que c'est un bon sujet. Et je vais découvrir que le surfeur de l'eau glaciale du Grand Nord n'est pas différent de son coreligionnaire d'Hawaii ou des plages du Portugal. L'esprit est le meme. La première fois que je suis venu en Norvège pour observer le surf arctique, c'était il ya 5 ans depuis que je m'y rend 2 fois par an, y compris pour couvrir la compétition de surf la plus Nord du monde qui a lieu en Septembre, les Lofotenmasters, diffusés en direct sur le canal de la World Surf League.

Grace au Gulf Stream, un courant chaud qui traverse l'Atlantique et qui vient caresser la façade ouest de la Norvège, Le Mercure, en cette saison, peut descendre jusqu'à moins dix degrés quand le vent se met à souffler, mais sinon il ne fait généralement qu'un ou deux degrés en-dessous de zéro. La mer est à cinq degrés. Elle a atteint onze-douze degrés pendant l'été. Mais parfois on atteint des excés très froids. Dans l'eau je porte une combinaison "humide" (non étanche) de 5,5 mm , en géoprène (néoprène végétal), des chaussons de 6mm, des gants de 5 mm, , des palmes courtes pour me déplacer rapidement et en sécurité. L'appareil photo est lui dans un caisson étanche. Pour éviter la condensation due à la grande différence de température entre l'extérieur et l'intérieur de la cellule, tout ce matériel reste en permanence dans la voiture, même la nuit. Buvez les piles. Pour ces prix, il m'est normal de rester 2-3 heures dans cette eau à 4-5° Celsius. Ce n'est jamais le froid qui m'a sorti de l'eau jusqu'à présent, mais la fatigue et parfois des crampes. Cet hiver, la température de l'air est tombée à -25° Celsius, et en y ajoutant un fort vent du Nord, la température ressentie est passée à -35° Celsius ressenti. Là, on peut parler de surf de l'extrême. La voiture était à cinquante mètres de la plage. Dans le court moment nécessaire pour la rejoindre depuis l'eau, je pouvais sentir ma combinaison se raidir sous l'effet du gel l'intérieur d'une petite voiture -, puis enfiler des vêtements secs, avant de se précipiter dans l'habitacle .

Même si peu de gens ont entendu parler du surf par temps froid, c'est loin d'être un phénomène nouveau. En Norvège, cela existe au moins depuis 1962. L'année dernière, j'avais rencontré le fondateur du surf aux Lofoten, qui est maintenant âgé d'environ 70 ans, Thor Frentzen. Avec une bande de copains, ils ont fabriqué des planches faites de polystyrène et de papier journal mouillé, d'après la pochette de l'album des Beach Boys, Surfing Paradise, sorti la même année. De fil en aiguille, et surtout au cours des dernières années, les îles Lofoten sont devenues très populaires auprès des surfeurs, qu'ils soient amateurs ou professionnels. Les vagues y sont excellentes, de classe mondiale. Sinon ressemblent à celles qu'on peut trouver en Floride ou sur la côte atlantique française. Le surf arctique comme ses inconditionnels. Plus les jours s'allongent, plus ils sont nombreux. Le matin, il n'y a que certains inconditionnels dans l'eau. Ça commence à se remplir vers 16 ou 17 heures, quand les habitants du coin sortent du travail et se dirigent droit vers la mer. Vers 19 heures, c'est l'heure de pointe dans les vagues. Le surf, ici, fait partie de la culture, et ce ne sont pas les spots qui manquent.

Il y a aussi un nombre quasi équivalent de surfeuses. Le temps, dans le Grand Nord, change très rapidement et ça peut devenir un problème pour un photographe. On peut traverser les quatre saisons en une seule journée, et il n'est pas facile de se préparer à quelque chose comme ça. Il faut aussi composer avec les températures pour les moins vivifiantes. Quand je regarde autour de moi, j'ai l'impression que c'est Hawaii couverte de neige. A Hawaii aussi, il y a des montagnes et des falaises. Un surfeur australien avec qui je bavarde me dit qu'il n'existe dans le monde aucun spot similaire aux Lofoten. On little surfer, sortir de l'eau parcourir quelques centaines de mètres et se faire une petite descente de ski improvisée. C'est un endroit où l'on ne s'attend vraiment pas à trouver des surfeurs, et pourtant beaucoup d'entre eux en tombent éperdument amoureux. Certains viennent de Californie ou d'Australie.

Une autre légende du surf des 80's est venue s'essayer à ces vagues, Tom Carroll, en 2017 j'ai passé une semaine avec lui. Certes, c'est grossier. Le vent glacé vous tue impitoyablement le visage et la mer est glaciale, dangereuse parfois. Mais il règne sous la surface une clarté. Unstad, et ses autochtones, c'est un autre planète, un autre monde, complete zen. Et je crois que c'est dû largement à la latitude très septentrionale. On retrouve la meme ambiance en Laponie. Vous retrouver ici, c'est ne plus être le même. Vous savez que vous êtes très au nord et qu'il y a moins de tout : de gens, de touristes, de randonneurs. Mais plus de cette émotion particulière qu'apporte le froid. Je crois qu'on peut l'appeler l'esprit de l'Arctique. Ici seules les vagues comptent, peu importe les conditions météo…